Introduction
Le laboratoire est l’une des ressources les plus sollicitées par le système de santé. Elle représente environ 90% des données médicales objectives du dossier médical d’un patient1. À cette forte demande s’ajoute une croissance dans le développement des biomarqueurs utilisés en clinique. On estime que le nombre de tests disponibles pour la clinique aurait doublé au cours des 20 dernières années aux États-Unis, comptant plus de 3500 tests en 2022 et totalisant un marché de plus de 87 billions en 20212. Au Québec, le répertoire québécois des analyses de laboratoire de 2022-2023 comptait un peu plus de 1900 analyses pour l’ensemble des spécialités médicales3. Cette différence s’explique en partie par le fait que le Québec est un système public et que des autorisations ministérielles sont nécessaires pour offrir de nouvelles analyses, alors que le système américain est privé. Cet encadrement de la médecine de laboratoire au Québec vise à favoriser une saine gestion des ressources, en plus de protéger à la fois le système et le patient. Par exemple, l’ajout inutile d’un test augmentera considérablement la facture sociale alors que l’ajout d’un test dont les performances analytiques sont insuffisantes pour le contexte clinique visé représentera un risque pour le patient. On sait que les résultats de laboratoires influencent 60 à 70% des décisions cliniques1 et ce pourcentage peut atteindre de 72 à 88% dans certaines spécialités telles la cardiologie et l’oncologie4. En somme, une mauvaise gestion de la qualité clinique ou analytique des tests en utilisation est à fort coût social pour un système comme le nôtre, autant pour le patient (délais de traitements, des diagnostics et pronostics erronés) que pour les fonds publics.
Malgré une aussi grande importance du laboratoire dans les services de santé publics et les soins aux patients, ce dernier demeure un aspect de la clinique qui est mal connue du public et des professionnels du réseau5. Pour tenter de pallier cette méconnaissance, l’IFCC et le TF-OSLM ont récemment fait la promotion d’études visant à documenter le rôle du laboratoire dans les soins aux patients5. Ces deux organismes espèrent ainsi faire reconnaître l’importance de l’expertise de laboratoire en santé. Parmi les experts du laboratoire, le biochimiste clinique vient jouer un rôle central dans la gestion de la qualité et des risques au laboratoire. Le parcours de ce spécialiste comprend un doctorat de troisième cycle dans un domaine scientifique de pointe suivi d’une formation postdoctorale complète de deux ans alliant formation théorique et stages dans plusieurs milieux hospitaliers. Pour pratiquer au sein du réseau de santé québécois, les candidats doivent réussir un processus de certification auprès d’un comité d’experts en biochimie clinique, mandaté par l’ordre des chimistes du Québec (OCQ). Ce parcours nécessite au total entre 10 et 12 ans d’études universitaires, ce qui est l’équivalent de la formation requise pour les médecins spécialistes. L’expertise clinique et analytique acquise par le biochimiste clinique durant sa formation fait donc de lui un élément clé du réseau pour une bonne gestion et une bonne utilisation de l’ensemble des ressources du laboratoire. Sa formation lui permet, en outre, d’évaluer les risques analytiques et préanalytiques, d’encadrer les cliniciens dans l’interprétation des résultats du laboratoire ou de juger de la pertinence clinique d’une nouvelle analyse. Leur contribution a des répercussions directes sur la qualité de nos services de santé puisque des décisions médicales sont prises par les médecins sur la base des résultats de laboratoire.
Cet article vise à mieux faire comprendre le rôle du biochimiste clinique au sein de notre système de santé en présentant un exemple concret de l’ajout d’une nouvelle analyse de laboratoire à l’hôpital de Chicoutimi, la procalcitonine (PCT). Ce rôle est également partagé par d’autres experts de laboratoire ayant des fonctions similaires. La première partie décrira le processus de recherche afin de déterminer l’utilité et le potentiel clinique d’un biomarqueur. La seconde présentera l’évaluation analytique à faire en regard des besoins cliniques à satisfaire. Finalement, la dernière expliquera le processus d’implantation d’une analyse de laboratoire et les mesures de suivi nécessaires pour assurer sa qualité et sa pérennité dans le temps. Il est à noter que ce processus n’est pas exclusif puisque chaque évaluation doit être adaptée à la réalité clinique du milieu, les contextes cliniques ciblés et les impacts potentiels pour le patient. Chacune de ces parties sera présentée dans le cadre d’un article distinctif. Le présent article présente la prémice de ce processus, soit les recherches littéraires et scientifiques qui ont été réalisées par les biochimistes cliniques de Chicoutimi afin d’évaluer les connaissances actuelles et l’utilité clinique potentielle de la PCT.