Les essais de cTn ont beaucoup évolué au fil des ans. Il faut savoir que les premières générations d’essais cTn étaient à peine capables de fournir des résultats quantitatifs chez les individus ne présentant pas de lésion myocardique. Puis sont arrivés les essais dits ‘‘contemporains’’ qui arrivaient à détecter les cTn chez 20 à 50 % des individus en bonne santé. Ces essais sont encore déployés dans certains laboratoires à ce jour. Cependant, au cours des dix dernières années, une nouvelle génération d’essais cTn a fait son entrée dans les laboratoires cliniques. Il s’agit des essais à haute-sensibilité (hs), soit les hs-cTnI et hs-cTnT. Ces nouveaux essais sont dits à haute-sensibilité, puisqu’ils répondent aux critères [8] établis par le groupe de travail de la Fédération internationale de chimie clinique (IFCC) sur les applications cliniques des biomarqueurs cardiaques (IFCC TF-CB), aujourd’hui promu au titre de comité (IFCC C-CB). Ces critères sont les suivants :
- Les tests hs-cTn doivent détecter les niveaux de cTn chez au moins 50% des individus en bonne santé;
L’imprécision totale (CV) au 99ème percentile doit être ≤ 10 %;
Les résultats doivent être rapportés en ng/L (contrairement aux essais contemporains en ng/mL).
Il est important de mentionner que l’utilisation du 99ème percentile URL (limite supérieure de référence) dans le contexte des cTn est due au manque d’harmonisation entre les différents essais cTn disponibles, ce qui rend impossible l’application d’une seule valeur seuil en tant que seuil physiologique pour une lésion myocardique. En effet, chaque compagnie utilise des anticorps différents ciblant des épitopes également différents sur la cTnI [9]. En ce qui concerne l’essai hs-cTnT, il n’est offert que par Roche, alors ce point n’est pas applicable pour ce dernier. De plus, les divers essais dirigés contre la cTnI utilisent des systèmes ayant des intensités de signaux également différentes (e.g. ester d’acridinium [Abbott], phosphatase alcaline [Beckman], HRP [Ortho], etc.) [9], ce qui ajoute encore à cette variabilité de méthode. Ainsi, il y a un groupe de travail de l’IFCC sur l’harmonisation de la troponine I (IFCC WG-TNI) qui penche actuellement sur le développement de matériaux de référence secondaires qui pourraient être utilisés comme calibrateurs communs aux différentes plateformes (Abbott, Beckman, Roche, Siemens, etc.) [10] afin de pouvoir comparer des résultats entre ces différentes plateformes. Entre-temps, chaque trousse fournit sa propre valeur pour le 99ème percentile qui est basée sur une population régionale de sujets sains. Cependant, puisque plusieurs facteurs tels que le sexe, l’âge et l’ethnie impactent les valeurs de cTn, il est important de vérifier cette valeur auprès d’une population pertinente au site où est implantée la méthode. En ce qui concerne les essais à haute sensibilité, afin d’établir le 99ème percentile, il est recommandé de tester au moins 300 hommes et 300 femmes en bonne santé, avec un mélange approprié d’âges et d’ethnies dans chaque groupe. S’il s’agit simplement d’une vérification de la valeur du 99ème percentile, il est recommandé de tester au moins 20 hommes et 20 femmes selon les mêmes critères.
D’ailleurs, il faut comprendre qu’avec une sensibilité toujours croissante et donc une distribution normale s’étalant de plus en plus vers de basses valeurs de cTn chez les populations saines, la valeur du 99ème percentile a elle aussi continuellement diminué (Fig. 2A). Conséquemment, les essais haute sensibilité (hs) peuvent détecter de manière plus précoce des augmentations de cTn, ce qui permet de minimiser les risques de passer à côté de patients présentant un infarctus aigu du myocarde (AMI). Parallèlement, une telle sensibilité permet également d’appliquer des algorithmes d’exclusion de syndromes coronariens aigus (SCA) plus rapidement [11, 12]. Cependant, cette meilleure sensibilité est également associée à un risque accru de faux-positifs suggestifs d’un SCA. En effet, bien que le risque de manquer des cas d’infarctus du myocarde soit minimisé lors de l’utilisation d’un test hs-cTn, il faut tout de même considérer le fait que les patients âgés sans SCA, ou les patients présentant des comorbidités telles qu’une maladie rénale ou une insuffisance cardiaque, pourraient avoir des niveaux de cTn augmentés. Non seulement ceci, mais la meilleure précision associée aux essais hs (CV au 99ème percentile ≤ 10 %) augmente également la probabilité qu’une différence trouvée entre deux échantillons successifs soit significative et donc indicative d’une lésion myocardique aiguë (Fig. 2B).

Figure 2. Impact des essais haute sensibilité sur la valeur du 99ème percentile et l’imprécision analytique. (A) Amélioration de la sensibilité analytique des essais de nouvelle génération (hs) pour les cTn et diminution concomitante des valeurs du 99ème percentile. (B) Impact de la diminution du CV à la valeur seuil (99ème percentile) sur la probabilité d’avoir un delta significatif entre deux prélèvements.
Cette augmentation de faux-positifs associée aux essais hs-cTn pourrait donc mener à des suivis diagnostiques inutiles et augmenter le risque de traitements inappropriés, ce que le réseau de la santé essaie d’éviter pour des raisons tant logistiques qu’économiques. Néanmoins, malgré ces préoccupations, le fait est que l’implantation des essais hs pour les cTn permet d’améliorer le diagnostic précoce et l’exclusion sûre de l’infarctus aigu du myocarde, et représente donc un outil essentiel au laboratoire clinique pour l’évaluation diagnostique de patients suspectés de SCA. Aussi, bien que les lésions myocardiques soient un prérequis pour le diagnostic de l’AMI, elles constituent également une condition en soi et ne sont pas nécessairement évocatrices d’un AMI s’il n’y a pas d’indications d’une ischémie. En effet, une lésion myocardique non ischémique peut survenir de manière secondaire à de nombreuses affections cardiaques telles que la myocardite, la péricardite, des cardiomyopathies et l’HTA, ou peut être associée à des affections non cardiaques telles que l’insuffisance rénale [13, 14]. Par conséquent, pour les patients présentant des valeurs de cTn augmentées, les cliniciens doivent distinguer si les patients ont subi une lésion myocardique non ischémique ou l’un des sous-types d’infarctus du myocarde. En absence d’indications d’une ischémie myocardique, un diagnostic de lésion myocardique devrait être posé. Ainsi, selon le document de consensus actuel sur la quatrième définition universelle de l’infarctus du myocarde, ce dernier est diagnostiqué en présence d’une lésion myocardique aiguë mise en évidence par au moins une valeur de cTn au-delà du 99ème percentile, suivie d’une augmentation ou diminution significative des niveaux de troponine cardiaque (delta), le tout en association avec des signes cliniques d’ischémie myocardique, tels que des modifications pathologiques de l’ECG [14]. Évidemment, selon le type d’infarctus du myocarde, les critères précis seront différents.